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Wednesday, November 21, 2012

Je pars pour la France.

Written by: Ha-Meem, France.


"-Posez la table là.  Non, là ! Oui, comme ça. Avez vous vérifié que les fenêtres étaient bien fermées avant de la placer devant ?
-Oui, Maman."

Aujourd'hui, on est le 28 juin 2005. On range tout ce qu'on désire garder dans cette chambre. Cette chambre tout au fond à droite au premier étage. Elle appartient à mes grands parents. On a maintenant entassé tous les meubles, la table à manger surmontée de la table basse de séjour. Toutes les choses importantes sont réunis. Nous partons. Ma famille, ma mère et nous les enfants, nous partons pour la France. Et ma grand mère part pour l'Italie. C'est un heureux hasard que nos deux dossiers d'immigration aboutissent en même temps. Ma tante a fait les démarches pour ma grand mère depuis six ans et mon père pour nous depuis trois ans.  Mon grand père qui voulait tant y aller ne fait pas partie de notre voyage. Il est décédé il y a six ans.

"- Bien! ,nous dit maman, Tout est prêt ? Vous avez empaqueté vos dernières affaires ?
-Non, mais après la douche nous pourrons définitivement boucler nos bagages.
-D'accord. Mais c'est pas encore fini. Inspectez vos chambres, n'avez vous rien oublié ? "
Nous y allons, nous cherchons, nous rapportons. C'est tout nouveau pour moi, pour mes frères et soeurs. Nous nous en allons. Je n'ai pas encore mis mes habits de voyage. Je porte encore un shalwar kameez. Des tongs aux pieds. Mes pieds sont sales à cause de la poussière sur les routes. Je fais partie de ce décor.
Nous nous agitons, nous nous préparons. Faisons nos adieux, disons au revoir. Enfait non, on a pas eu le temps. J'aurais voulu voir une dernière fois Baby Baji, ma prof de Coran. J'aurai voulu voir tout les gens de mon quartier et les annoncer enfin que je partais. Mais on a pas eu le temps.
La maison. On allait la laisser meublée. Pleine avec nos petits trésors. Nos effets, nos souvenirs. Après coup, j'aurais aimé la fouiller du fond en comble. Soulever chaque tapis. Ouvrir chaque livres. Peut être sous un journal qui couvrait un étagère, on aurait trouvé un rupee oublié qui à l'époque de sa disparition nous avait causé beaucoup de chagrin. Peut être qu'on aurait trouvé des bracelets, des pistolets à eau, des choses perdues ou des vieilles cartes de voeux oubliés. J'aurais aimé tout redécouvrir et ne partir qu'après avoir tout vu. Mais on a pas eu le temps. D'ouvrir chaque tiroir. De passer en revue tous ce qu'on aimait vraiment et ce qu'on voulait emporter et ce qu'on laissait. De penser à ce que ces choses deviendront. Après nous.
Nous partons. C'est la seule chose que nous savons et nous oublions ce que nous laissons. C'est la maison de mes grands parents. J'y ai vécu depuis ma naissance. Je connais tout les recoins. J'y ai fait mes quatre cent coups. Je sais grimper sur chacun de ses murs. Je sais comment monter à l'aide d'un tuyeau de l'eau et du gaz de rez de chaussé jusqu'à la cuisine au premier. Je sais aussi comment descendre en glissant le long de la conduite d'évacuation de premier étage jusqu'au rez de chaussé sans avoir à prendre les escaliers, sans se faire remarquer. Je sais monter comme un chat sur les étagères en ciment de la cuisine pour atteindre la boîte de Amrus (des bonbons à la saveur mangue). Je sais comment passer de la fenêtre de couloir dans la salle de séjour sans emprunter la porte. Cette maison je la connais comme ma poche. Je ne savais pas qu'à partir de ce moment quelqu'un d'autre l'habiterait. Que tous ce que j'aimais partirait.
Cette rampe de marche qui monte du premier étage jusqu'au toit. Qui est devenue noire sur sa peinture jaune. Noire par nos pieds et mains sales qui y glissent.
Sur cette petite fenêtre devant les marches, la poste de garde pour voir dans la rue, on note un cadre noir.  Encore nos saleté de mains. Le jour de la eid on aimait regarder la rue en fête de cette fente. Elle va être repeinte. Cela va effacer nos empreintes. Notre existence. Les perdre, j'ai pas songé à ça sur le coup.
Nous partons. Nous sommes excités à l'idée d'aventure. Nous allons rejoindre notre père. Nous faisons nos dernières emplettes. Nous achetons des bonbons, des chips, des chewing gum : le voyage sera long.
Nous nous sommes tous lavés. Maman a fermé à clé la porte de la chambre de nos grands parents. Tous nos bagages réunis dans le véranda. On réajuste les tenus qu'on va porter. Ma grande tante, a ramené du riz avec des petits poids que ma tante a cuisiné. Aufait, mes deux tantes sont là avec leurs enfants qui vont courir sur le toit tandis que nous sommes ordonnés d'avaler le dîner. J'aime le riz, surtout avec des légumes. Je commence à manger et trouve une chenille verte dans mon plat. J'ai pas envie de continuer. Maman dit que nous aurons pas à manger jusqu'au lendemain et peut être plus. Mais je n'ai plus faim. Maman qui s'agite dans la cuisine à préparer le biberon de mon petit frère me dit que je peux aller me changer.
Je porte un ensemble bleu. Un sourire sur mon visage. J'ai 13 ans je vais partir. Après dîner, on se rejoint dans le véranda. Je me remet à la fente pour regarder la rue. Il n'y a pas de lumière mais je connais cette rue car j'y ai vécu. Je peux nommer tout les gens qui habitent ici. Je les connais personellement.
Je me retourne. Il y a des gens réunis. Il y a du bruit. Tout le monde parle et rit. C'est inhabituel à cette heure. On s'est assis sur un lit en fer. Une de nos voisines nous lance : "Alors vous partez vraiment ? " Elle vient d'arriver.
Au lieu d'aider ils restent assis. Ou peut être aident-ils je ne m'en souviens plus.
Je regarde la lumière dans le véranda. Une lumière jaunâtre émanant d'une ampoule à 100 Watt. Je sais, je l'ai acheté, je l'ai rechangé et des fois même j'ai réparé les fils derrière la prise.
Au coin, à côté de la porte de salle de séjour et la fente sur la rue il y a un ventilateur sur pied. Celui là aussi je le connais. Quand on se met devant lui et qu'on parle notre voix se transforme. Ça fait un tout petit peu peur mais cette voix entrecoupée nous amuse beaucoup. Je sais comment réparer la jointure entre les fils de rallonges. Une fois j'ai failli m'électrocuter car je n'avais pas débranché le courant. Après s'être lavés nous nous plantions devant ce ventilateur et les cheveux et le corps mouillés. Le vent devenait frais,on se croyait devant un climatisateur.
Maman dit qu'il faut l'enfermer aussi dans la chambre de nos grands parents. C'est mon grand père qui l'a acheté. Je l'ai toujours trouvé à cette place. Ça me fait bizarre qu'on le déplace. Qu'on le planque.
Vers minuit, quand tout le monde part. Non plutôt personne ne part. Sauf ma grande tante et Maman parties chercher un taxi. On a l'ordre de descendre les bagages. Il faut allumer les lumières. Ces lumières que tout les soirs il fallait venir éteindre. Le noir nous faisait peur. Et nous descendions en récitant Ayat-al-kursi qu'on avait appris pour l'occasion.
Dans le véranda les enfants de mes tantes dorment sur le lit en fer. Je ne sais plus si ma voisine est là ou partie. Je ne sais pas si nous avons fermé les portes. Je crois que non. Quand nous partons il y a encore de la lumière qui s'infiltre de la fente du premier étage.
Maman et notre grande tante reviennent avec non un taxi mais un minibus blanc. À cette heure, il n'y a plus personne dans la rue. J'aimerais que tout les magasins soient ouverts qu'il voient ma joie, je m'en vais tout simplement. Non, c'est le noir complet et le bruit des grillons nous dit au revoir.
Je me souviens du jour où mes cousins sont partis en Italie, en 1998. Je crois qu'il y avait au total trois taxis. Ils n'avaient pas beaucoup de bagages mes beaucoup de gens venus leur dire au revoir. Mon grand père, ma grand mère. Ma grande tante. Mon autre grande tante et d'autres gens et nous. Toute notre famille. Ma mère, mes soeurs, mon petit frère et moi. Nous êtions tous là pour leur dire au revoir. Nous maintenant, nous sommes seuls. Sans mon grand père ma maison a perdu son éclat. Ce n'est plus pareil. Ramassés sur nous mêmes, contenant notre joie, nous, nous partons seuls.  Ce jour là mes cousins était le centre d'attention. Nous, aujourd'hui ce n'est pas pareil.
Nous partons pour ne jamais regarder en arrière. Pour s'embarquer dans une vie aventurière. Nous partons tous à la découverte du monde. Il fait noir dehors, mais je n'ai pas peur. Sagement, j'ai pris place entre tous ces bagages. Je regarde une dernière fois en arrière. Il n'y a personne à qui faire le signe d'au revoir. Il n'y a personne pour voir nos larmes. Avec notre grande tante et grand mère nous nous dirigeons vers l'aéroport. J'ai conscience que c'est la dernière fois que je vois cette rue. Quand peut être je reviendrai, tout aura changé. Et je n'aurais pas forcément envie de voir ça. Je m'en vais.
Nous partons. Nous partons pour la France et rien ne peut nous arreter. Enfin, nous y allons vraiment. Et nous remercions le Dieu pour avoir veillé sur nous.
Aujourd'hui nous partons pour la France. Nous allons rejoindre notre père.

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